This page contains a Flash digital edition of a book.
Spécial diaspora Culture ELIKIA M’BOKOLO L’histoire de l’Afrique par les Africains


À ceux qui veulent refaire l’histoire. À ceux qui veulent minimiser l’impact de l’esclavage, de la colonisation en Afrique. À ceux qui veulent positiver cette histoire. À tous ceux-là s’oppose Elikia M’Bokolo. Directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) depuis 1985, producteur d’une émission hebdomadaire sur RFI, il enseigne l’histoire des Afriques avec passion. Une vocation née pendant son enfance au Congo Kinshasa, et suscitée par un certain Patrice Lumumba. Récit. Par Dounia Ben Mohamed


hasa. Les gens s’arrêtaient pour écouter, de l’autre côté de la grille, Lumumba, surpris qu’un homme comme nous parle ainsi. Il a évo- qué l’histoire du Congo pour arri- ver à l’indépendance. Un discours historique ! se souvient-il. Le choc le plus grand, dont je ne me ren- dais pas compte à l’époque, c’est cette fameuse lettre à Pauline qui sera lue un mois après son assassi- nat, dans laquelle il en appelle à l’histoire. L’histoire dira un jour le sens de notre combat. Pas une histoire faite par les colonisateurs, mais par les Africains. ». Il n’ou- bliera jamais ces mots.


Les failles de l’Histoire Quand il arrive en France


F


ace à Elia M’Bokolo, je redeviens une étudiante. Je dirais même une petite fille. Une fillette qui écouterait avec passion son grand-père lui conter une histoire. L’histoire de l’Afrique en l’occurrence. Pas cette Afrique pauvre, malade, condamnée, que nous présen- tent les médias nationaux et certains historiens ou essayistes. Une Afrique qu’il connaît bien parce qu’il a pris le temps de la connaître. De la comprendre. Une Afrique complexe, diverse, passionnante avec son lot d’épi- sodes glorieux et tragiques, ses héros et ses ennemis, ses forces et ses faiblesses. Alors que l’on célèbrait ou déplorait, c’est selon, le cinquantenaire des indépen- dances africaines, Elikia M’Bo-


kolo se rendait de conférence en conférence, racontant comme il sait si bien le faire l’histoire de cette liberté gagnée au prix de luttes amères. Une histoire qu’il connaît


bien puisqu’il y était, au Congo- Kinshasa, là où il est né en 1944, dans une famille indépendan- tiste, spectateur stupéfié des premières heures de la marche vers l’indépendance. Histo- rien. C’était sa vocation, son destin. Il ne pouvait en être autrement pour cet homme qui reçoit comme un message le premier discours de Patrice Lumumba. « Je me souviens très bien de ce jour-là. Nous avions sorti la radio dans la cour. Nous habitions alors dans une rue pas- sante, près du marché, à Kins-


76 • NEW AFRICAN • Septembre - Octobre 2011


alors que sa famille s’y installe, fuyant le régime de Mobutu, il se retrouve dans un Paris marqué par la fin de la guerre d’Algérie. « On parlait beau- coup d’Afrique. René Dumont venait d’écrire L’Afrique noire est mal partie, le professeur me demande de le commenter devant mes camarades. J’explique alors qu’il y a beaucoup de choses dans ce livre, sauf le point de vue des Africains. ». Il met très tôt le doigt sur les failles de l’histoire telle qu’elle est enseignée en France. « C’est une histoire très politique contrairement à celle des Anglo-Saxons qui est plus sociale et anthropologique. Il n’y a pas chez eux le mythe de l’assimilation à la française. Contrairement aux Français, ils évoquent d’avantage les Africains que les colonisateurs. Nos professeurs, pour parler de la guerre d’Algérie, évoquaient davantage le général Bugeaud qu’Abdelkader. ». Elikia est un élève brillant. Il


suit des études de lettres dans un premier temps, sans manifester d’intérêt particulier. Envisage les mathématiques, mais ce n’est pas très amusant. « Mes profes- seurs me disaient “il faut choisir. Si tu veux gagner de l’argent, il faut faire Polytechnique” ». Il est le cinquième Noir à entrer à l’École normale supérieure. Il passe une licence de lettres,


s’oriente vers l’agrégation. « Mais je me rends compte que cela ne m’amuse pas. Un soir, je vais sur les quais de Seine, je me sens tout pauvre, démuni. Puis cela devient très clair : il faut connaître l’histoire de l’Afrique. ». Alors il lit, énormément. Se constitue une importante bibliothèque. Il découvre les historiens anglo- saxons, notamment nigérians, avec un autre point de vue. Ses


« aînés » des associations afri- caines qu’il fréquente, parce que c’est aussi un militant, l’y encouragent. « Pour prendre la parole, il faut avoir mené l’en- quête », me disaient-ils.Mais c’est un étudiant frustré. « Beaucoup de mes amis étaient rentrés au pays. Dont mon père, qui s’est retrouvé quasiment déporté à l’intérieur du pays. Il m’a conseillé d’attendre. » La situation politique au Congo est difficile. Il envisage l’Algérie. Mais c’est l’époque de l’arabisa- tion. Alors il songe aux anciennes colonies portugaises. Il apprend le portugais, devient trilingue. En même temps, il poursuit sa formation, enseigne, notam- ment à Sciences Po. C’est là que ses professeurs, dont Jacques Le Goff, l’encouragent à trouver un poste en France. Il y réfléchit.


Les enjeux de l’enseignement « C’est en France que je suis


devenu africain. D’abord en découvrant la fracture entre le pays colonisateur et moi-même. Je me suis senti étranger. En même temps, je côtoie des amis africains, sénégalais, togolais et autres. ». Dont Alpha Condé. « Un aîné pour moi. Il me dit : “Commence par exceller dans ton domaine”. » Elikia M’Bokolo passe son doc- torat à l’École des hautes études en sciences sociales en 1975. Il mesure alors l’enjeu d’enseigner l’histoire de l’Afrique en France.


« Je commence à penser qu’il y a plus d’intérêt à enseigner ici. ». À enseigner l’histoire des Afriques, par les Africains. C’est ce qu’il fera inlassablement. Il publie. Transmet. Échange. En France et ailleurs. Il commence à par-


Page 1  |  Page 2  |  Page 3  |  Page 4  |  Page 5  |  Page 6  |  Page 7  |  Page 8  |  Page 9  |  Page 10  |  Page 11  |  Page 12  |  Page 13  |  Page 14  |  Page 15  |  Page 16  |  Page 17  |  Page 18  |  Page 19  |  Page 20  |  Page 21  |  Page 22  |  Page 23  |  Page 24  |  Page 25  |  Page 26  |  Page 27  |  Page 28  |  Page 29  |  Page 30  |  Page 31  |  Page 32  |  Page 33  |  Page 34  |  Page 35  |  Page 36  |  Page 37  |  Page 38  |  Page 39  |  Page 40  |  Page 41  |  Page 42  |  Page 43  |  Page 44  |  Page 45  |  Page 46  |  Page 47  |  Page 48  |  Page 49  |  Page 50  |  Page 51  |  Page 52  |  Page 53  |  Page 54  |  Page 55  |  Page 56  |  Page 57  |  Page 58  |  Page 59  |  Page 60  |  Page 61  |  Page 62  |  Page 63  |  Page 64  |  Page 65  |  Page 66  |  Page 67  |  Page 68  |  Page 69  |  Page 70  |  Page 71  |  Page 72  |  Page 73  |  Page 74  |  Page 75  |  Page 76  |  Page 77  |  Page 78  |  Page 79  |  Page 80  |  Page 81  |  Page 82  |  Page 83  |  Page 84  |  Page 85  |  Page 86  |  Page 87  |  Page 88  |  Page 89  |  Page 90  |  Page 91  |  Page 92