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d’échecs transmis d’un président à un autre. La logique de paix du « printemps arabe » n’est effectivement pas la sienne. Aussi, il m’apparaît que l’après « après 11-Septembre », si l’on peut dire, sera défini par rapport à trois dimensions centrales : la mutation d’une Al-Qaïda post Ben Laden, mondialisée mais affaiblie, une Amérique qui n’aura pas encore réellement mené la réforme stratégique annoncée au lendemain de l’élection de Barack Obama, et la prolifération de dévelop- pements mondiaux qui désormais échappent aux États-Unis et soulignent les limites de son champ d’influence longtemps accepté par réflexe. De la crise financière à la réactivité tardive au « printemps arabe », à la question palestinienne qui s’émancipe du stérile carcan américain classique avec la multiplication des reconnaissances de l’État palestinien, notamment en Amérique latine, le contrecoup de l’hystérie post 11-Septembre et du désir impérial américain improvisé sera peut-être, dans les années à venir, une forme d’ajus- tement structurel des relations internationales qui s’imposera aux États-Unis.


« Révolution », « révolte », « printemps arabe », les experts tentent de passer de l’observation à la conceptualisation. Comment interprétez-vous ce « chaos créateur »? Les forces de modernité voisinent avec les forces de régression, à l’aune de quelle rationalité faut-il mesurer cette réalité ? S’il nous a tous surpris par la rapidité de son dévelop-


pement initial, ce « printemps arabe » en hiver est, à mon sens, à comprendre avant tout en ce qu’il est simplement : des soulèvements de populations arabes face à un trop-plein d’autoritarisme. Ce sont des révolutions dont l’impor- tance historique ne peut pas, là encore, être relativisée. L’immolation de Bouazizi et la fuite de Ben Ali ont marqué de façon indélébile un théâtre arabe frustré qui s’est immédia- tement mis en branle dans une action dont les conséquences se déclineront pendant longtemps. Assurément, plus rien ne sera comme avant dans la relation État-société au monde arabe. Ce qu’il faut donc surtout conceptualiser, c’est la différence entre les révolutions qui sont un moment de libération circonscrit, et les transitions qui se déclinent sur le long, voire le très long terme, qui avancent cahin-caha et qui peuvent effectivement connaître des phases de régression. Voyez le parcours de l’Amérique latine dont les transitions


Al-Qaïda vu par un expert du Sud


Professeur invité à l’Institut de hautes études internationales et du développement et expert associé au Centre de politique de sécurité de Genève, Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou a précédemment été le directeur adjoint du Programme de politiques humanitaires et de recherches sur les conflits de Harvard University. Il est l’auteur de Contre-Croisade – Le 11 septembre et le retournement du


Monde et de Understanding Al Qaeda – Changing War and Global Politics, deux ouvrages de références sur les mutations internationales des dix dernières années. Le parcours de Mohammad- Mahmoud Ould Mohamedou illustre l’interdisciplinarité et le cosmopolitisme qui caractérise les nouveaux intellectuels du Sud. Polyglotte, de culture à la fois arabophone, francophone et anglophone,


Ould Mohamedou est à la croisée des relations internationales et de la sociologie politique. Enfance en France, adolescence en Espagne, études aux États-Unis, vie professionnelle aux États-Unis et en Suisse, ce politologue, ancien ministre des Affaires étrangères de la Mauritanie et auteur de plusieurs livres, apporte un riche et singulier éclairage sur la géopolitique internationale contemporaine.


Septembre - Octobre 2011 • NEW AFRICAN • 31


ont été entamées durant les années 1970 pour aboutir vingt-cinq ans plus tard, ou celui de l’Europe de l’Est qui se poursuit à maints égards. Le raisonnement ambiant par analogie – islamistes en embuscade, modèle turc, sécularisme occidental – est trompeur et prégnant idéologiquement. La seule rationalité qui s’impose est celle de l’Histoire et le


« printemps arabe » n’est, en ce sens, que l’épisode le plus récent de la longue histoire postcoloniale du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Aux rendez-vous manqués de la décolo- nisation, aux autoritarismes qui ont suivi, aux démocratisa- tions cosmétiques des années 1990 et au tout-sécuritaire de la décennie écoulée, est venu un correctif auto-généré qui est potentiellement porteur d’un véritable renouveau arabe. On peut, je crois, être réaliste et optimiste.


Politologue et professeur d’université, vous avez également été ministre des Affaires étrangères de la Mauritanie. Quels enseignements tirez-vous de cet exercice ? Le fait d’être politologue m’aura, je crois, rendu un


meilleur ministre des Affaires étrangères, et mon expérience à la tête d’une diplomatie me donne une vision plus complète des enjeux internationaux.


Comment expliquez-vous, particulièrement en France, la faiblesse de l’expertise sur le monde arabe et islamique : méconnaissance, erreurs d’interprétation ou analyses biaisées ? Méconnaissance, certainement pas. Le monde arabe est


très connu en France et la proximité historique entre elle et l’ensemble de cette région avérée. Non, ce qu’il y a c’est, d’une part, une idéologisation excessive des analyses liées à cette partie du monde, doublée d’une couverture médiatique souvent réductrice. À tel point que des clichés populaires se muent en catégories d’analyses communément acceptées et qu’ainsi, « fous de Dieu », « tribalisme endémique » « guerres de religion » parsèment trop aisément les colonnes des organes les plus influents. Même si elle avait une tonalité essentiellement orientaliste, la qualité d’analyse qui a longtemps existé en France sur le monde arabe se perd à la faveur d’un journalisme de l’urgence privilégiant « pitch »,


« hook » et autres avatars d’un « storytelling » inélégamment américanisé. n


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