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participer à un « assassinat » programmé. Argument des défenseurs des droits


de l’Homme, Habré ne bénéficierait pas au Tchad d’un « procès équitable », Idriss Déby Itno étant au pouvoir. (Déby fut l’ancien chef d’état-major de l’armée sous Habré, et son ancien conseiller militaire à la présidence avant de l’éjec- ter du pouvoir). Aux Nations unies, on s’émeut aussi de l’affaire et Navi Pillay, la Haut-Commissaire chargée des droits de l’Homme demande au gou- vernement sénégalais de revoir sa posi- tion. Bref, le tollé causé par l’annonce du gouvernement sénégalais a été tel que, après avoir tenu tout le monde en haleine pendant 48 heures et déchaîné des réactions parfois passionnées, le Président annonce la « suspension » de la mesure « d’extradition », terme utilisé par le gouvernement sénégalais dans ses différentes déclarations, mais que réfutent juristes et puristes de la langue française en affirmant qu’il s’agit pour les uns d’une simple « expulsion », pour les autres d’un « rapatriement », en tout cas pas d’une « extradition ».


Un imbroglio judiciaire


1990. Habré est chassé du pouvoir par l’actuel président Idriss Déby Itno. Immédiatement après, il s’enfuit vers le Sénégal où l’ex-président Abdou Diouf lui accorde l’asile politique et où il mène une vie paisible pendant près de dix ans dans le modeste quartier de Ouakam, ancien village happé par la ville de Dakar et situé non loin de l’aéroport international Léopold Sédar Senghor. 1999. Les victimes


supposées de Habré ou leurs « familles » se mobilisent sous la férule de l’ONG américaine Human Rights Watch, qui prend la tête d’une large coalition d’associations de défense des droits de l’Homme. Elles accusent l’ex-Président d’avoir tué et torturé « plusieurs milliers » de « Tchadiens » et quelques


étrangers pendant qu’il était au pouvoir, entre 1982 et 1990. 2000. Suite à leur plainte, un tribunal sénégalais inculpe Habré mais en 2001, la Chambre d’accusation de la Cour d’appel décide que la justice sénégalaise est « incompétente » pour juger des crimes commis par un étranger hors du territoire sénégalais.


Au même moment la Belgique, se prévalant d’une « compétence universelle » demande à le juger. Mais cette loi sur la « compétence universelle » belge sera vite amendée face à l’afflux massif de plaintes sur des affaires sensibles, notamment contre les autorités israéliennes. La Belgique persiste à affirmer qu’elle peut juger Habré en vertu de ses lois nationales, certaines des victimes


supposées étant belges. 2005. Face à la pression intense contre son


gouvernement, le président Wade, pour se débarrasser de cet encombrant invité, porte l’affaire devant l’Union africaine. Celle-ci, en juillet 2006, s’oppose à l’extradition, mais demande au Sénégal de juger Habré. Le Sénégal enclenche alors une procédure pour modifier sa Constitution et ses lois pénales afin de prendre en compte le cas Habré. Les amendements sont adoptés (non sans peine) par le parlement en avril 2008. L’obstacle juridique surmonté, reste l’épineuse question du financement d’un procès qui doit voir défiler des centaines, voire des milliers de témoins, et examiner des montagnes de dossiers. Le Sénégal n’en a pas les moyens et demande à


la communauté internationale de s’en charger. 2010. Novembre, une réunion des « bailleurs de fonds » autour du procès Habré se tient à Dakar, et s’engage à contribuer pour plus de 11 millions de dollars. On n’en saura pas davantage sur la suite donnée à ces engagements. Entre-temps, la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest avait, toujours en novembre 2010, statué qu’en dépit des changements opérés dans sa législation, le Sénégal ne pouvait juger Habré sauf si l’État mettait en place un tribunal international à caractère ad hoc… de quoi apporter de l’eau au moulin des avocats de Habré et de compliquer une affaire déjà suffisamment complexe.


Septembre - Octobre 2011 • NEW AFRICAN • 49


Querelles sémantiques


Loin de ces querelles sémantiques, le principal intéressé peut se détendre. Mais la menace sur sa vie a été telle qu’il accepte de parler au micro d’un journaliste, sortant de la réserve et de la discrétion qui ont caractérisé ses deux décennies d’exil au Sénégal. Dans cet entretien réalisé par Abdou Latif Coulibaly pour La Gazette, Habré révèle tout d’abord sa « surprise » dans la procédure utilisée, n’ayant appris la décision qu’« à travers les médias ». Il affirme n’avoir reçu la moindre noti- fication officielle, verbale ou écrite, ni directement ni par l’intermédiaire de ses avocats ou de ses proches. En même temps il ne se dit « pas trop sur- pris » par la décision, puisque depuis qu’il est au Sénégal, précise-t-il, ses ennemis continuent à comploter contre lui. Il révèle l’histoire du « mys- térieux avion » qui, un jour, a atterri à l’aéroport international de Dakar et dans lequel il devait embarquer vers une destination tout aussi inconnue (Nigeria ou Arabie saoudite).


En affirmant n’avoir pas été offi-


ciellement informé, Habré accrédite la thèse selon laquelle le président séné- galais n’aurait jamais eu l’intention de le renvoyer au Tchad. Interrogé par la BBC, Ibrahima Kâne, militant sénégalais des droits de l’Homme, pense qu’il s’agissait pour le président Wade de faire « diversion » après les sérieux troubles que son pays a connus au mois de juin, qui ont fragilisé son régime.


Mais à Dakar, l’explication


officielle est tout autre. En faisant marche arrière, le Sénégal accédait aux demandes de la communauté inter- nationale, celles de Navi Pillay et de l’Union africaine notamment. Volonté sérieuse d’en finir avec une affaire que le Sénégal traîne comme un boulet au pied depuis dix ans, ou simple ten- tative de manipulation de l’opinion nationale et internationale ? Toujours est-il qu’en annonçant avoir suspendu sa décision, le président Wade relance une affaire qui, à coup sûr, est très loin de connaître son épilogue. n


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