Savoir viser juste Par Simon Nuttgens
Assurez-vous qu’il revienne. Il est bien diffi- cile d’assurer un counseling efficace si votre client ne se présente pas à la séance suiv- ante. Cela peut sembler aller de soi, mais ce n’est pas toujours chose facile. Et parfois, « savoir viser juste » dans le contexte d’une soudaine révélation survenant dans la salle de consultation n’est pas nécessairement compatible avec la durabilité de la relation ni avec l’aptitude à vraiment jouer son rôle d’aidant.
C’est ainsi que, lors de ma première séance pratique de counseling conjugal et familial à l’Université d’Alberta, où je terminais ma maîtrise à l’époque, je me retrouvai en présence d’un couple hétérosexuel dans la fin vingtaine.
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De toute évidence, il ne s’agissait pas d’un cas facile pour un novice en thérapie conjugale. Bien que l’exposé initial de leur problème fût typique (un mari peu communicatif et une épouse harcelante), la façon dont le mari se présentait durant la séance ne l’était pas. Dès l’instant où il entrait et jusqu’au moment de son départ, il ne cessait de pleurer. Pas des pleurs plaintifs ou des sanglots, mais un simple écoulement discret et régulier de larmes le long de ses joues.
Que faire? Ma première séance avec ce couple s’est déroulée en solo, c’est-à-dire en l’absence du superviseur derrière le miroir sans tain. Je ne me souviens plus trop bien ce que j’ai fait ou dit à ce couple lors de cette première séance, mais une chose ne faisait aucun doute : lors de la prochaine sé- ance, je demanderais à mon superviseur de m’appuyer derrière le miroir. Quelle que fût mon approche lors de notre première ren- contre, cela sembla suffisant pour inciter le couple à se présenter à la séance suivante.
Lors de ma seconde séance, je me sentais mieux préparé à affronter les larmes qui allaient très certainement couler. Mon su- perviseur m’avait conseillé de rencontrer d’abord brièvement le mari, afin de voir s’il pleurerait ou non en ma seule présence, ce qui indiquerait si les pleurs étaient liés à la présence de son épouse. De fait, lorsqu’il était seul avec moi, le mari ne pleurait pas et conversait assez aisément. Lorsque je fis entrer son épouse, qui se trouvait dans la salle d’attente, les larmes se sont remises à couler. Que faire, maintenant? Je fis un peu de surplace avec le mari et l’épouse, antici-
L’excitation d’une telle révélation et d’une interprétation potentiellement libératrice si tôt dans ma carrière se traduisit par une exclamation
“ Je perdis toute ma contenance. triomphante [...] ”
pant avec impatience la pause de mi-séance que l’on avait fixée avec mon superviseur à 45 minutes du début de la séance.
Lors de la pause, les directives de mon su- perviseur furent claires et simples : « Re- tournez-y et dites au mari : ‘Vos larmes par- lent à votre place. Je me demande qui vous a rendu ainsi muet.’ » Quel brio! J’ai donc ré- intégré avec confiance ma place dans la salle de consultation, et dès le premier indice d’une larme, je livrai mon message. Silence de la part du mari. Sa lèvre inférieure se mit à trembler. Je me disais qu’il allait exploser d’une minute à l’autre et répondre d’une longue tirade. Mais non, c’est son épouse qui prit d’abord la parole, et avec grandilo- quence : « TU SAIS TRÈS BIEN QUI T’A PRIVÉ DE TA VOIX! C’EST TON ONCLE LAURENT, QUI N’A JAMAIS CESSÉ DE TE TRAITER DE MAUVI- ETTE SANS VALEUR. »
VOL. 45 NO. 1 | WINTER 2013
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